Creissan

Histoire de Creissan

Le nom de Creissan a pour origine Crexano (959), nom d'homme Crescens et suffixe d'appropriation anum.

Bref historique du château de Creissan par Charles Peytavie du Centre de Valorisation du Patrimoine Médiéval.


Le sort d'un domaine agricole carolingien


Territoire occupé dès l'Antiquité, Creissan est mentionné pour la première fois dans une série de chartes du Xe siècle concernant la "villa vocabulo Crexano", c'est à dire le domaine agricole de Creïssan, avec ses territoires, ses deux églises paroissiales Saint-Martin et Saint-Michel, avec leurs celliers et sacristains respectifs, leurs dîmes et leurs prémices, et leurs cimetières.


Un exemple de l'élaboration de l'habitat concentré


En 952, ce domaine est un alleu, c'est-à-dire une terre qui n'est tenue de personne. II est vendu dans un premier temps par une femme nommée Edora au vicomte de Narbonne Matfred et à son épouse Adélaïde moyennant une somme importante de trois mille sols melgoriens.

Nous avons manifestement affaire à un vaste domaine, pôle de regroupement des populations suffisamment peuplé pour bénéficier de deux églises paroissiales. Comme c'est le cas dans le premier tiers du Xe siècle dans notre région, nous voyons que désormais, églises, terroirs et droits ecclésiastiques perçus sur le terroir forment un tout indissociable. Ces églises sont le signe de l'unité religieuse de la petite communauté rurale paysanne fixée déjà à cette époque sur le terroir de Creissan.

Dans un deuxième temps, le vicomte et son épouse cèdent l'alleu à l'archevêque Aymeric de Narbonne le 22 avril 959. L'acte de vente rappelle d'ailleurs que le vicomte et son épouse tiennent le domaine "ex traditione Adoirae foeminaea", c'est-à-dire en transmission de la femme Edora. L'acte est du plus haut intérêt puisqu'il mentionne la présence d'une tour avec muraille et fossé.

La présence de ces éléments de fortifications est très importante: ils sont la preuve que sur le territoire de Creissan dès la fin du Xe siècle un centre fortifié est bien présent (ils se multiplient d'ailleurs à la même époque en Biterrois) et qu'autour de ce point fort, un processus de regroupement des maisons paysannes est amorcé, bien que la dispersion de l'habitat reste globalement la règle.

L'archevêque de Narbonne reçoit au nom de la cathédrale Saint Just et Saint Pasteur le 25 juin 962 un autre alleu que possédait sur le lieu de Creissan un certain Radueus et sa femme Ermedructis. Ils l'avaient hérité de leurs parents et comprenait desaisons avec leurs cours, dépendances, vignes, vergers, ruisseaux, dépaissances et autres églises, preuve de la richesse de ce terroir. En échange, l'archevêque donne à Radueus et à sa femme l'église de Saint-Etienne d'Agenciano qui faisait partie de l'ancien prieuré de Saint-Etienne, uni au monastère de Sainte-Eugénie, avec ses dîmes et prémices. A leur mort, ils promettent que cette église reviendrait dans le patrimoine de la cathédrale de Narbonne.

A cette époque, la frontière est floue entre le patrimoine des évêques et le patrimoine de leur cathédrale. Même si les conciles ecclésiastiques rappelaient la règle qui maintenait une franche distinction, le cas de Creissan est intéressant en ce qu'il montre que la frontière est ténue. Selon ses volontés testamentaires, l'archevêque attribue l'alleu de Creissan aux chanoines de son église métropolitaine le 13 juin 977. Cette donation est confirmée dans un codicille stipulant qu'à l'époque de l'Avent et du Carême, au moment où les revenus abondent, soit faite une messe commémorative en présence des chanoines de la cathédrale pour le salut de l'âme des donateurs, de celle du vicomte Matfred et tous leurs parents, amis et familiers.

Cet acte de donation est l'une des premières manifestations que nous possédions où est marquée dans le cadre de la province ecclésiastique de Narbonne une distinction entre le patrimoine des chanoines, c'est-à-dire les ecclésiastiques desservant la cathédrale, et le patrimoine attaché au siège épiscopal qui dépend de la gestion de l'évêque.

L'exemple de Creissan est sur ce point remarquablement documenté. Entre ces deux pouvoirs, le clivage et parfois même les tensions vont s'accentuer au cours du XIe siècle.


Creissan, seigneurie du chapitre de la cathédrale de Narbonne pendant 8 siècles


La donation de l'archevêque de Creissan au chapitre de sa cathédrale est décisive. Désormais Creissan restera seigneurie du chapitre de la cathédrale jusqu'à la Révolution, soit pendant huit siècles.

Deux actes dont un inédit que nous avons retrouvé, mentionné dans l'inventaire des archives de l'archevêché de Narbonne montre que la préoccupation immédiate du chapitre, nouveau seigneur de Creissan, est d'organiser son domaine afin de lui assurer une cohérence optimum.

Pour cela, il faut aux chanoines récupérer tous les droits qui leur échappent encore sur les hommes et les biens de ce territoire et obtenir de certains seigneurs laïcs les droits qu'ils ont spoliés. Ainsi, le 4 mars 1119, le chapitre remet cent vingt-cinq monnaies courantes de Narbonne à Engilbert d'Olargues et à sa femme pour les droits qu'ils possèdent sur la postérité, hommes et femmes, concernant les familles de Sigier le Roux et Sicard Guiraud, serfs de Creissan.

Et en 1126, ils contraignent un certain Louis Reognus à rendre les dîmes que l'église Saint-Martin de Creissan possédait à Castel de Lyron et son terroir.


La consécration de l'église Saint Martin et l'institution de la sauveté (1132).


C'est dans ce contexte féodal où les laïcs tentent de mettre la main sur les droits et les revenus ecclésiastiques que les communautés religieuses pour se prémunir vont établir des zones placées directement sous la protection de l'Eglise. Elles créent alors ce que nous appelons des sauvetés qui sont avant tout des terres d'asile où chacun bénéficie de la protection de l'église mais qui sont aussi un moyen concret d'asseoir pour les établissements ecclésiastiques leur possession sur un territoire marqué au sol par des bornages significatifs (ici des croix).

L'assemblée réunie à Creissan le 5 décembre 1132 a d'abord pour but de consacrer définitivement sous le vocable de Saint-Martin l'église de Creissan, la seule semble-t-il, à avoir perduré. Elle a aussi pour but d'élever son territoire en sauveté afin de le protéger de toute tentative de vexations au risque pour celui qui s'y risquerait d'être anathématisé au même titre que quelqu'un qui s'en prendrait directement au chapitre de Saint-Just et Saint-Pasteur.

A partir de la deuxième moitié du XIIe siècle, les mentions de Creissan se font plus rares et peu précises.

Il est du reste regrettable de ne pas posséder de plus amples documents qui nous fassent entrer plus avant dans la transformation de l'habitat que l'on peut pressentir seulement à travers l'observation archéologique du site.

Entre le XIe et le XIIe siècle, Creissan n'a pas échappé au phénomène que les spécialistes appellent l'incastellamento, c'est-à-dire le regroupement de l'habitat autour d'un pôle seigneurial, ici un château.

Il semble même, d'après ce que nous avons vu, que ce phénomène soit antérieur sur ce territoire à la période que nous lui attribuons généralement dont le début est fixé en Bitterois autour de 1070.

La consécration de l'église Saint-Martin de Creissan en 1132 pourrait finalement bien correspondre à la stabilisation de l'habitat villageois auprès du château et non plus de l'église après une phase progressive d'accroissement de la population à partir du Xe siècle.

Dommage qu'une fois la sauveté en place, nous ne puissions plus suivre avec beaucoup de détails l'évolution de la seigneurie, même à travers les quelques rares archives du chapitre de la cathédrale de Narbonne qui nous soient parvenues.

Ces archives, aujourd'hui conservées aux Archives Départementales de l'Aude concernent essentiellement l'administration de la seigneurie entre le XVe et le XVIIIe siècle et, sauf en de rares cas, font peu mention de faits saillants dans l'histoire du village et du château dont nous apprenons néanmoins qu'il est envisagé de le réparer en 1537 et 1550.

Nous possédons toujours les copies des contrats passés avec les maîtres maçons chargés des réparations, actuellement conservées aux Archives Départementales de l'Aude.


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